L’hôtel de demain sera moins confortable.
Dernièrement, je parcourait une article de 2018 du Monde intitulé « L’hôtel du futur sera écologique et convivial ». Un article fort intéressant. Dans ces quelques lignes, on peut y lire l’excellent et très intéressant Grégory Pourrin (que j’admire par ailleurs pour ce qu’il réalise chez Paris Inn) qui déclare, à propos de l’hôtel de demain : « Ecologique, sans doute, mais pas sur le mode culpabilisant ni en sacrifiant le confort que nos clients réclament en vacances et en déplacement, durant lesquels ils ne veulent pas de contrainte ».
En relisant plusieurs fois cette déclaration, je ne peux m’empêcher de revenir encore et encore sur le même constat : je ne suis en total désaccord avec cette affirmation.
Depuis, je tourne en boucle et je ne parle que de ça, à mes clients, mes étudiants, ma femme, mon fils de 4 ans : comment sauver la planète, le futur de nos enfants si ne nous sommes même pas capables de sacrifier un peu du confort de nos clients ?
Les récentes activités d’Extinction Rebellion, la surdité profonde des dirigeants de ce Monde et la croissance exponentielle du nombre d’adeptes du nouveau sport national qu’est le greenwashing m’amènent (d’abord à titre personnel) à un constat : nous sortirons de ce modèle suicidaire par des changements systémiques, par de la radicalité. Nous devons radicalement changer notre façon de consommer, de nous déplacer ; nous devons imposer à notre société des changements majeurs, l’addition seule de simples gestes ne suffira malheureusement pas.
A ce titre, l’hôtellerie devra elle aussi, selon moi, faire sa mue et sortir principalement d’un dogme qui l’empêche d’entamer sa transition écologique. Ce dogme est basé sur le fait que nous devons faire notre maximum (économie d’énergie, gestion des déchets, approvisionnement etc.) jusqu’à la limite fatidique : ne pas impacter négativement le confort du client.
Or, mon opinion est que nous en sommes à un tel degré d’urgence climatique précisément parce que nous n’avons jamais su mettre un « stop » à notre quête de confort. Toujours confortable de se déplacer en voiture pour tout type de trajet, une très longue douche est un moment si confortable, des draps propres sont si confortables que l’on veut cette sensation chaque jour, ma confortable routine fromage blanc avec des fraises coupées à tout moment de l’année me fait démarrer ma journée depuis plus de vingt ans. L’hôtellerie, et notamment l’hôtellerie de luxe, a contribué dans cette course « no-limit », cette course pour laquelle rien n’est jamais trop pour satisfaire nos clients.
Et que dirons-nous à nos enfants ? « T’es bien gentil mais non, on a pas pu sauver la planète, on était trop occuper à se demander si Madame Michu allait être sûre d’avoir sa chambre climatisée à 18,6°C en août ? La tartine avocat de la table 15, tu y penses ? Tu crois vraiment qu’on pouvait dire non à M. Martin qui voulait une orange pressée chaque matin ? » Précisément, nous allons devoir leur dire non. Ou plutôt lutter contre une forme de schizophrénie chez nos clients, les bons comportements et les concessions du quotidien ne doivent pas s’arrêter une fois le check-in effectué.
A quoi ressemble alors cet hôtel plus vertueux et brutalement moins confortable ? Des douches (exit toutes les baignoires) qui alertent puis qui s’arrêtent une fois un volume d’eau consommé. Plus de jus d’orange au petit-déjeuner (sauf si vous êtes dans une région qui produit des oranges), en France nous produisons par exemple de très bons jus de pomme. Plus de climatisation dans les chambres (la question est de savoir combien de nuits par an avons-nous vraiment besoin d’une clim’ ?). Et mille nouvelles autres contraintes.
Par ailleurs, le « logiciel » du luxe doit aussi changer. L’hôtelier ne plus seulement inciter à ne pas changer ses serviettes ou draps. Il doit imposer (la sensibilisation, nous en faisons depuis 20 ans avec les résultats que nous connaissons) ses propres règles de fonctionnement et ne pas rentrer dans un schéma de pollueur-payeur. Si mon client souhaite par exemple changer ses draps tous les jours : sauf état de saleté manifeste l’hôtelier ne les changera pas, même si le client est prêt à payer pour.
Le client devient acteur de notre transition. Cette ère du consomm’acteur débute selon moi et va changer radicalement la manière d’aborder le confort dans l’hôtellerie. En y réfléchissant bien, il s’agit d’une superbe opportunité pour les hôteliers qui sauront répondre à cette nouvelle génération de clients plus en quête de sens que de consommation sans limite. Cette opportunité est celle d’une nouvelle génération d’hôteliers qui ringardisera le greenwashing hôtelier (« on est un peu écolo car la clientèle est désormais comme ça ») et qui se tiendra en face de son client : « si c’est bon pour vous, il se peut que ce soit aussi surtout très mauvais pour la planète ».
L’hôtel de demain sera donc probablement moins confortable mais cela lui permettra certainement de toujours exister, tout court.
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